Apiculture genevoise: miel des champs

Stéphanie Vuadens, apicultrice pro et militante, chouchoute 700 ruches dans le canton. Chefs et amateurs raffolent de ses miels bios de terroir. Portrait

Et dites bien à vos lecteurs de ne pas couper les pissenlits dans leurs jardins!»

On est sur le trottoir. L’entretien vient de s’achever. Stéphanie Vuadens nous rattrape pour nous glisser cet ultime message. Dont acte: chers lecteurs, ne coupez pas vos pissenlits. Ils constituent une bectance de choix pour les petites abeilles. Et les petites abeilles, c’est la fête. C’est la vie. C’est l’avenir de l’humanité et de la planète. Après deux heures de papote avec Stéphanie, on en est fermement convaincu. La dame sait être persuasive.

Stéphanie donc, la quarantaine svelte et pimpante, la pupille claire et le verbe ardent, est la «seule apicultrice professionnelle de Genève». Elle veille sur 700 ruches, éparpillées aux quatre coins du canton. D’Avusy à Versoix; de Jussy à Dardagny. «Aucune d’entre elles ne se ressemble. À chacune son rythme, sa logique, ses humeurs. S’occuper d’une ruche, c’est comme élever un enfant. On est à son écoute, on la soigne, on la nourrit, on la cajole. Oui, je materne mes ruches», sourit-elle. Ce qui lui fait 700 bambins adoptifs, en plus des deux siens. Grande famille que voilà.

Stéphanie n’est pas tombée dans le pot de miel toute petite. Parisienne de naissance, Genevoise de mariage et de cœur, elle œuvre dans l’industrie pharmaceutique quand, un beau jour de 2013, débarque un essaim dans le jardin familial à Vessy. Maman de deux jeunes enfants, la jeune femme panique. Elle ne veut pas de ces bestioles qui piquent.

Plus relax, le mari appelle un apiculteur, qui installe une ruche. Stéphanie finit par s’en occuper. «Je me suis acheté une combinaison. J’ai commencé à lire tout ce qui me tombait sous la main à propos des abeilles, à passer des heures sur le web. L’année suivante, j’ai récupéré cinq autres ruches en Valais, que j’ai installées chez un voisin éleveur. Puis j’ai doublé mon cheptel, encore et encore…»

Loin d’un simple hobby, l’apiculture devient vite une passion dévorante, «une mission», même. «Les abeilles ont donné un sens à ma vie», assure-t-elle. «Sans elles, pas de fruits, de fleurs, de légumes!» Elle quitte son boulot. Se lance à corps perdu dans la croisade. L’exact point de départ? La couleur de ses premiers pots. Oui. La couleur. «Je me suis aperçue que deux miels issus des mêmes ruches, des mêmes abeilles, récoltés à quelques semaines d’intervalle, étaient totalement différents en fonction des fleurs butinées. C’est dingue, non? Les abeilles sont gastronomes. Elles choisissent soigneusement leurs nectars, comme un gourmand le fait sur un menu au restaurant.»

Jusque-là, la famille boulottait des pots bios acquis en supérette, qui avaient toujours la même saveur, le même aspect. «J’ai compris que pour arriver à cette uniformité, ils assemblaient, ils brassaient, ils chauffaient. Il faisait subir tout un tas de trucs à ce produit magique. Rempli de sucre, il ne pourrit pas. Du coup, on peut le garder en fût d’une année sur l’autre, le mélanger à l’envie. J’étais scotchée. On ne peut pas faire ça! Le miel est bon pour la santé grâce à ses enzymes, qui se dégradent avec le temps et la chaleur. Vieux et cramé, il ne sert à rien.»

Les miels de Stéphanie, eux, affichent un naturel épatant. Ni chauffés, ni coupés, ni sucrés. Pas de sirop. Pas d’additifs. L’étiquette comporte la date et le lieu de récolte. Comme les meilleurs vignerons, l’apicultrice refuse de tricher avec sa voluptueuse matière première. «Avec 30 emplacements et trois récoltes annuelles, j’arrive à 90 miels différents!» Certes, le prix de vente s’en ressent. «Il me faut expliquer tout ça aux gens: sans bidouiller, on ne peut vendre des pots à une thune.» Surtout qu’en cas de petite récolte, elle privilégie ses abeilles au business. «S’il ne leur reste pas assez à manger, je préfère tout leur laisser et ne rien prélever. Elles passent avant tout. Cela aussi, il faut l’expliquer aux clients.»

Sitôt lancée, elle se met donc à démarcher grandes surfaces, boutiques, hôtels et restaurants. Elle est persuasive, on l’a dit. Maintes enseignes prestigieuses succombent. Nombre de grands chefs fondent. «Je me souviendrai toute ma vie de Franck Giovanini (triplement étoilé à Crissier) goûtant mon miel avec ses seconds. Ils étaient assis. Moi debout, devant eux. Comme à un examen. J’étais pétrifié. Il a juste dit: «ça, c’est bon». Quelle émotion!»

«S’occuper d’une ruche, c’est comme élever un enfant. On est à son écoute, on la soigne, on la nourrit, on la cajole»

Stéphanie Vuadens Apicultrice

Reste que c’est les mains – sans gants! – dans les ruches, au milieu des petites fleurs et des oiseaux, que Stéphanie s’épanouit. «Il faut être zen. Si tu es speed, trop parfumée, nerveuse, elles le sentent. Il faut se coller à leur rythme.»

Et de coller sous le nez de son interlocuteur une photo où deux abeilles lui collent un bisou sur l’index. Trop chou. Comme choisit-elle ses emplacements? «Je me balade évidemment beaucoup en campagne genevoise. Dès que je vois un spot sympa, je me renseigne pour trouver le propriétaire. En général, les gens sont enchantés d’accueillir mes ruches.»

On l’aura compris, il y a chez Miss Vuadens l’envie de convaincre un monde incrédule de l’urgence d’aider ces chères abeilles. «J’ai le projet, en bonne voie, d’ouvrir une vraie miellerie, où je pourrais recevoir en particulier les enfants pour leur parler de mon métier; les convaincre qu’il s’agit d’un job noble et vital.»

Elle songe à continuer à développer son contingent d’ouvrières genevoises aussi, «tout en restant dans l’artisanat, le respect, l’humilité et la transparence». Amen.

Renseignements et parrainages:
www.mielsdestephanie.ch.
Les Miels de Stéphanie sont en vente chez Globus, Manor, Bruand, Pougnier, Cartier, etc.

Parrainez une ruche
Parallèlement à sa petite entreprise mielleuse, l’intrépide Stéphanie a créé une association pour la protection des abeilles. À but non lucratif, donc. Il s’agit de parrainer une ruche, soit
une colonie de 40 000 abeilles; ruche qu’elle installe elle-même en campagne genevoise et dont elle s’occupe de la récolte.

On parraine, donc. Et, durant
un an, on reçoit ses pots de miels, millésimés. Les étiquettes peuvent être personnalisées. La famille est bienvenue au rucher pour rencontrer ses industrieuses filleules et découvrir un boulot rare, fascinant et salutaire.

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